Les joueurs lobent-ils le dopage ?
Article paru dans l'édition du 1er juin 1999.
Les coulisses du tennis. Pendant Roland-Garros, chaque jour, radioscopie de la planète jaune à l’aube de l’an 2000.
Officiellement, dans le monde feutré de la petite balle jaune, le dopage n’existe pas. Sinon en proportion infinitésimale. Ici, pas de révélations fracassantes à l’image des affaires qui pullulent dans le cyclisme. Juste des cas isolés. Comme l’Espagnol Andres Gimeno, vainqueur du Britannique Michael Davies lors d’une rencontre de Coupe Davis en 1959, qui avouera ensuite avoir reçu pendant deux mois des injections à fortes doses de testostérone. Ou le Suédois Mats Wilander et le Tchèque Karel Novacek qui ont été contrôlés positifs à la cocaïne, et l’Espagnol Ignacio Truyol aux stéroïdes, au début des années quatre-vingt-dix. Enfin, comme le Tchèque Petr Korda, ancien n§ø2 mondial, qui s’est fait " pincer " pour usage d’un stéroïde anabolisant (la nandrolone) lors du dernier tournoi de Wimbledon.
Pour le reste ? Rien que des traces de coups de gueule de Yannick Noah en 1980, de propos alarmants d’Ion Tiriac en 1985, et de Boris Becker quelque cinq ans plus tard.
Pourtant, ils sont légion ceux qui pensent que le tennis n’est pas épargné par ce fléau. " Il est clair qu’il y a du dopage dans le tennis, explique un ancien membre du service médical de Roland-Garros. Avant, les joueurs prenaient des amphétamines. Maintenant, pourquoi les joueurs n’utiliseraient-ils pas d’EPO ? Avec les sommes d’argent qui circulent dans ce sport, la tentation est grande. D’ailleurs certains tennismen ont été pris au contrôle, et ont été forcés à se déclarer " blessé " pour ne pas salir la blanche hermine de ce sport. "
" Le muscle, c’est la base du sportif, ajoute un médecin dans le milieu du tennis. Alors, au tennis, quand on enchaîne les parties difficiles, celui qui se dope a moins de mal physiquement, c’est évident. " Toujours dans cet esprit, Bernard Montalvan, médecin des équipes de France de tennis, explique : " Il faut être niais pour croire que cela n’existe pas sur les 800 joueurs et joueuses professionnels du circuit. De plus, les tests de dépistage urinaires restent désuets. Alors... " Il veut parler de ceux effectués lors de la saison, Roland-Garros compris.
Patrice Clerc, le directeur du tournoi parisien, a conscience des limites de ces tests (de l’ordre d’une centaine sur toute la quinzaine, réalisés par des médecins du ministère de la Jeunesse et des Sports). Il tempère malgré tout : " Cela m’énerve un peu d’entendre que tous ces contrôles ne servent à rien. On a bien réussi à épingler Korda. Mais de toute façon, je pense que le tennis n’est pas encore gangrené. Et puis quand je vois la réaction que les joueurs ont eue vis-à-vis de " l’affaire Korda " à Melbourne au début de l’année, cela me rassure. " À l’Open d’Australie, nombre d’entre eux souhaitaient en effet tout mettre en ouvre - tests sanguins, urinaires et capillaires, ainsi qu’un prélèvement sur leur gain pour financer la recherche - pour préserver l’équité de ce sport. L’Allemande Steffi Graf, au sortir de sa victoire au deuxième tour de Roland-Garros, déclarait dans cet élan : " Je continue de penser que les contrôles doivent être faits de façon plus stricte. "
Le cas Korda, positif à la nandrolone l’an dernier, trotte toujours dans les têtes. La décision de le laisser jouer en raison de " circonstances exceptionnelles " avait provoqué un tollé de la part de beaucoup de joueurs. L’Américain Jim Courier, ancien vainqueur à Roland-Garros, n’avait pas hésité d’ailleurs à mettre gravement en cause les Européens, sur l’utilisation de l’EPO. " Quand près de la moitié des coureurs du Tour de France a été exclue l’année dernière pour avoir cédé à ce genre de tentation, il est clair que c’est un produit répandu dans le sport européen. En tennis, la plus grande partie du circuit professionnel se déroule en Europe. Je n’ai pas de preuves, mais on peut tout de même faire des déductions ", avait-il déclaré. Brian Tobin, le président australien de la Fédération internationale de tennis, avait renvoyé la balle en affirmant que, depuis l’instauration des contrôles dans ce sport, on n’avait pas dénombré plus de deux ou trois cas positifs. Bien que chacun connaisse la valeur relative de ces tests.
Il y a quelques jours, le magazine International Tennis, mensuel de l’ATP Tour, a révélé que sur 107 joueurs interrogés 57 avaient reconnu prendre ou avoir pris de la créatine, comme la Française Mary Pierce. Le produit n’est pas interdit, mais peut servir, selon les experts, à masquer la prise de substances illicites. Le tennis cachera-t-il longtemps ses coups ?
Damien Lesur
Ma source est http://www.humanite.presse.fr